Une belle mise au point sur la technique saupoudrage pour les pauvres du gouvernement de Villepin.
A quand la prime galette des rois ?
LE MONDE | 05.09.06
Vous êtes partis en vacances ? Avec le chèque-vacances, bien sûr ! Vous rentrez ? Le chèque-rentrée vous attend. Vous avez remarqué que l'essence a augmenté ? Le chèque-transport arrive. Vous avez des difficultés d'emploi ? La prime pour l'emploi va vous parvenir.
Par-delà un bricolage électoral qui sent son clientélisme "à très court terme", comme dit Laurence Parisot, je voudrais, beaucoup plus sérieusement, rappeler qu'il y a là une régression sociale qui a été analysée depuis longtemps par tous ceux qui réfléchissent sur la protection sociale.
Cela remonte à loin, si l'on se réfère à cette sage parole chinoise de Lao Tseu : "Donne un poisson à un pauvre, il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher, il mangera toujours." Cette maxime rappelle que le système social d'avantages en nature n'est qu'une phase primaire, celle où l'on croit devoir obliger le bénéficiaire à consacrer telle aide à telle dépense : aide au logement, tickets-restaurants, par exemple.
Cette phase primaire implique fondamentalement que le citoyen est incapable d'assumer ses propres choix entre ses dépenses : que n'a-t-on pas dit sur les parents qui "boivent l'argent des allocations familiales" ! Et si l'on pouvait vérifier que cet argent est bien dépensé pour les enfants, on le ferait certainement.
Cette idée que la société doit materner ses citoyens est naturellement encore plus ancrée lorsqu'il s'agit d'aider les plus défavorisés et les exclus : même au niveau de la charité individuelle, on donnera plus volontiers un ticket-restaurant qu'un euro à celui qui mendie. Le remarquable succès des Restaurants du coeur vient du fait que "l'on sait où va ce que l'on donne".
Au niveau d'une société développée en argent et évoluée en culture, la vraie solidarité est pourtant très différente : elle se fonde sur la confiance en l'homme, sur le respect de sa dignité, et sur la responsabilité de ses choix.
C'est ce que j'ai voulu faire en proposant pendant quinze ans la mise en place d'un revenu minimum et en le créant auprès de Michel Rocard en 1988. Alors que tout le monde m'avait expliqué que c'était irréalisable et, en outre, peu souhaitable, nous l'avons créé en deux mois, il a été voté à l'unanimité, il soulage la vie difficile de plus de 1 million de citoyens, et personne ne songerait aujourd'hui à le supprimer. Bien sûr, on trouvera des bénéficiaires du RMI qui sont des fainéants, bien sûr, on trouvera des bénéficiaires du RMI qui boivent ou fument cet argent. Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt de ceux à qui il apporte une (petite) autonomie financière qui leur permet d'exister (un peu) comme consommateur, comme citoyen.
Tout cela pour dire que Dominique de Villepin tourne le dos au vrai progrès social, en privilégiant les avantages en nature au détriment du pouvoir d'achat. Nous n'attendons pas de nos gouvernements qu'ils retournent vers les rois de France distribuant les prébendes et attendant les remerciements. Nous attendons d'eux - et en particulier des prochains - qu'ils activent une solidarité qui traite les citoyens en adultes au lieu de les infantiliser.
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Lionel Stoleru est ancien secrétaire d'Etat au Plan.